Je serai vivante

Lu en juin à sa sortie, j'ai retardé l'écriture de cette chronique. Car ce roman est une déflagration. Il faut à nouveau se rassembler pour y mettre ses mots.

C’est aussi un monologue et un dialogue de sourds.
Sur une réalité sordide.


La jeune fille de ce roman a subi un viol. Elle pensait avoir rendez-vous avec ce garçon qui lui plaisait. A sa surprise, il l’avait invitée. Mais cela s’est terminé au pied du cerisier sous un ciel d'avril dans une violence inouïe et sans cri.
Quelque temps plus tard, une autre réalité pas moins sordide : en allant au commissariat porter plainte, elle ne trouve que mépris, préjugés et une autre forme de viol(ence) en face d’elle. Ce qui la déstabilise, la fait bafouiller, lui fait perdre pied, la dédouble une fois encore en revisitant ses flashs. Car les questions de l'officier en face d'elle sont si orientées, si dénuées de toute empathie, si narquoises, si terrifiantes elles aussi.

Le lecteur suit donc impuissant à la fois le récit de ce viol qui revient par bribes, par sensations très physiques auxquelles la jeune fille s’est raccrochée-le tronc rugueux, le froissement des feuilles, la ramure de l'arbre, le ciel, les gestes, les sons- et ce déni policier qui la renvoie à sa solitude et à sa souffrance. Et qui l’efface en tant qu’individu une deuxième fois.

C’est cru et acéré, poétique et beau : la langue de Nastasia Rugani n’épargne rien. Elle écorche physiquement. Elle magnifie les non-dits. Elle dit le gouffre sans fond.

La construction est d’une remarquable efficacité. Dans cette parole non prise en compte va émerger une volonté indéfectible : celle de vivre malgré tout : « Je serai vivante ». La force de ce futur est comme une bouée que la jeune fille fait émerger dans ce non dialogue face à un représentant de la loi comme un ultime acte de survie face à tant d’indifférence. C'est à couper le souffle car tout en intériorité.

D’un viol inavoué, d’une parole bafouée, la rage de vivre balaye tout par delà cette parole qui a été dite et non entendue réellement.

Un roman extrêmement fort dans son retournement. 

Un roman qui remue les tripes.

Un roman nécessaire.

Mes autres chroniques des romans de l'autrice.


Je serai vivante
Nastasia Rugani
Gallimard jeunesse
Collection Scripto

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