Surf


"Le présent pouvait faire cette petite place au passé, ils n'avaient rien à craindre l'un de l'autre." (p. 213)
Cette phrase, presque à la fin, je l'ai choisie (parmi tant d'autres que j'ai relevé) car elle me semble être le cœur de ce roman à la fois envoûtant et désarçonnant. 

C'est la recherche d'Adam. Celle de toute sa vie. Depuis ses 8 ans quand son père est parti et n'est jamais revenu. Lui Adam revient à Brest, délaissant son école de graphisme parisienne. Il ne sait pas encore que son passé va se réveiller, lui qui a tant cherché à rester sur le fil de sa vie, comme le surfeur sur sa vague, et ne pas se laisser engloutir par cet abandon paternel. Lui et sa mère ne le vivent pas de la même façon : lui bouillonne intérieurement alors qu'elle semble avoir capitulé. 

Il reçoit une lettre de la femme américaine de son père, avec laquelle il a refait sa vie, lui annonçant sa mort. Sont jointes des lettres qu'il n'a jamais envoyé à son fils. Ce procédé permet de découvrir un homme entier, aimant, assumant ce choix mais douloureusement. Un homme passionné par les Navajos au point d'en faire sa recherche professionnelle.

En revenant, il retrouve aussi Nathan-Jack, son ami de toujours, son frère. Complètement déjanté mais à la fois si lucide.  Il y a aussi Aeka, que lui présente Jack, une fille tout aussi barrée, passionnée jusqu'à l'obsession par ses enregistrements et mixages des bruits du quotidien. Il y a aussi Katel, jeune femme serveuse rencontrée sur une aire d'autoroute à l'entrée de Brest. Chacun de ces trois-là vont aider Adam dans sa quête si douloureuse que résume si bien la citation en début de cette chronique.

Ce roman, c'est aussi une atmosphère : celle de la ville de Brest, de son port, de la mer, des corniches, de la nuit aussi. Mais sans la rendre trop réelle. Des souvenirs d’enfance qui jaillissent, des questions laissées sans réponse. Du street-art aussi sous forme de stickers collés dans la ville la nuit par Adam et Jack lycéens, comme des bouteilles à la mer bravant l'interdit et se sentir un peu vivants.
Ce sont aussi des voyages lointains qui vous bercent de leurs sensations. Comme si vous flottiez en apesanteur. Je crois que c'est ce mot qui définit le plus ce roman.

Je me suis laissée emporter par cette vague moi aussi, dans un lâcher-prise qui m'a à la fois remplie et vidée. C'est un roman entre rêve et réalité, avec une syntaxe et une construction qui s'affranchissent de bien des codes mais tout se tient, c'est là l'extraordinaire. Le lecteur se désarme de toute subjectivité dans ce roulis de sentiments et d'émotions. Jamais je n'ai eu peur pour ces personnages si vivants et latents à la fois. J'ai eu confiance en eux. Beaucoup de passages sont sublimes car ils invitent à une ouverture d'esprit grande comme la mer. En filigrane la métaphore du surf est comme un fil bleu à suivre du regard, le perdre, le retrouver, tout comme les personnages. Et plonger pour mieux renaître.

Une plongée intense dans l'adolescence, à la dimension mythique, comme je n'en ai jamais lu.
Je le relirais, c'est certain.
Et je vais aller lire ce qu'en dit l'auteur Frédéric Boudet sur le site des éditions MeMo. Mais pas tout de suite. Je n'ai pas envie d'explications. Pas encore...

Surf
Frédéric Boudet
Collection Grande Polynie
Editions MeMo

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