Le coeur des louves
Je ne voulais pas lire ce roman à l'origine : peur de sa noirceur, peur de ce que j'allais y trouver comme écho personnel, et puis pas forcément envie de lire ce type d'histoires en ce moment.
Des copinautes du blog collectif A l'Ombre du grand arbre, qui l'ont lu, m'ont convaincue. Et je ne regrette pas de leur faire confiance. J'ai gardé cette lecture pour mes congés et j'ai bien fait. C'est un roman dense dans lequel on plonge malgré soi pendant des heures et qui vous remue les tripes.
Ce qu'il aborde relève du plus profond et les mots paraissent bien dérisoires pour traduire toutes les émotions qui m'ont traversées à sa lecture.
C'est un roman envoûtant et magistral sur la dureté de la condition humaine. Mais terriblement juste.
Trois générations de femmes : Tina, la grand-mère, Catherine, la fille et Célia, la petite fille. Qui, malgré elles, vont porter sans le savoir l'histoire de la première dans leur corps et leur esprit. Célia et sa mère, écrivaine à succès, reviennent dans le village de la grand-mère Tina, au cœur des montagnes, dans une nature grandiose, sertie de légendes, où règnent les louves d'après les superstitions. Leur retour est mal vu : les vieilles histoires refont surface et Célia y perçoit des réponses à ses questions de toujours.
Ce roman nous dit que les secrets ont une force terrible, qu'ils finissent toujours par se frayer un chemin, comme le ruisseau qui dévale de la montagne, dans sa course folle. On a beau vouloir polir, atténuer, effacer les conséquences de ses actes, les choix de nos vies sont aussi soumis à ceux des autres, malgré nous.
Ce roman nous dit aussi la lâcheté des hommes, leur conscience arrangée, le pouvoir de l'argent, et la force des légendes qui se construisent peu à peu, si bien qu'on ne peut plus au final démêler le vrai du faux.
Ce roman nous dit aussi le courage des femmes, réduite au désir des hommes mais qui au fond d'elles, puisqu'elles peuvent porter et donner la vie, sont capables de toutes les révoltes, de toutes les libertés, de toutes les solidarités, de tous les silences aussi, telles les louves de la montagne.
Ce roman nous dit les ravages des secrets et la difficile émergence de la parole, dans un combat inégal.
C'est un roman remarquablement bien construit, à l'écriture fine et précise, qui mêle grandeur de la nature et petitesse des hommes, qui ne valent souvent guère mieux que des bêtes. Jusqu'aux dernières lignes, les écheveaux de l'histoire sont démêlés, on y perçoit une infinie souffrance mais aussi comme un soulagement.
J'ai été plus d'une fois troublée par la force qui émane de ces pages, par ces destins entremêlés malgré eux, par la fatalité, par la gangue de la nature humaine. Où chacun croit agir pour son bien, pour lui-même, sans réfléchir aux conséquences de ses actes, pour les autres et plus largement, pour la communauté. L'amour, la haine, la rancœur, la violence, la bêtise, le racisme, l'absurdité de la guerre, le mensonge, la jalousie, et les non-dits qui en découlent, tout est déroulé, là. En cela, c'est un roman très contemporain. Rien ne change vraiment. L'histoire recommence toujours, celle avec le petit h et celle avec le grand.
En voici un extrait qui en dit long : "Elle (Célia) tente toujours de saisir la vérité de toutes ces vies mêlées. Il lui semble qu'il y a des motifs récurrents dans ces destinées. Comme si l'histoire se répétait indéfiniment, sous des formes différentes, mais le fond reste identique. Les lignes de fracture courent toujours à la surface des choses, et ni le temps ni les lieux ne semblent pouvoir stopper les lézardes." (pp. 494-495).
C'est un roman qui m'a rappellé une autre lecture pour adultes, d'il y a quelques années déjà, un roman de Philippe Claudel : Le rapport de Brodeck.
Un roman très impressionnant, sélectionné dans les Pépites 2013 du Salon de livre de jeunesse de Montreuil, catégorie Roman ado européen.
Un roman que je relierai très certainement, même s'il m'a confirmé ce que je pressentais déjà de la condition humaine, dans ce qu'elle a de pire. Mais nous faisons tous partie de ce tout-là...
Pour de très bons lecteurs adolescents et adultes.
Retrouvez les chroniques de :
Merci à vous deux :)
Le cœur des louves
Stéphane Servant
Le Rouergue
Collection DoAdo
Ce que cherche chaque auteur c'est précisément d'être un miroir pour le lecteur. Se découvrir dans un livre écrit par un autre est une espèce de miracle, ne le refusez jamais...
RépondreSupprimerMerci ! :)
RépondreSupprimerMerci Pépita pour cette belle chronique, et pour la place au chaud à tes côtés à Montreuil pour écouter cet auteur vraiment doué !
RépondreSupprimerUne lecture qui a fait résonner beaucoup de choses en moi également...
Un moment inoubliable !
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