Miss Pook et les enfants de la lune

"La haine est une défaite, mes enfants. Elle ne tourmente que celui qui l'éprouve" p.171
S'il est bien un thème porté haut la main par ce roman époustouflant, tourbillonnant, désopilant, c'est bien le combat de la haine contre l'amour.

De main de maître, Bertrand Santini explore les méandres de l'universalité de ces sentiments contradictoires.

Nous sommes à Paris en 1907, la Tour Eiffel se fait repeindre sous les ordres de Gustave Eiffel, et une sorte de Mary Poppins débarque sur le museau de son dragon. Mais ne vous y trompez pas : celle qui se fait passer pour une gouvernante anglaise irréprochable n'est autre que Miss Pook, sorcière de son état, qui vient enlever les enfants pour leur faire échapper à un funeste destin, les emmener dans son château sur la lune et révéler alors sa véritable nature et l'objectif de son dessein.

C'est ce qui arrive à Elise Dubenpré, fille unique du couple Dubenpré, un couple bien assis au niveau social. Au passage, je tiens à signaler que leurs dialogues sont des perles de convenance sociale puissance 10, le petit doigt bien levé en tenant sa tasse de thé ! Et un roman jeunesse qui emploie le mot "objurgation" (Vous ouvrez votre dictionnaire ?)avouez que ça ne court pas les rues.

Elise va alors découvrir l'astre lunaire en désobéissant quelque peu aux recommandations de Miss Pook, mais que voulez-vous, c'est bien le propre des enfants que de ne pas obéir ?

Le récit change alors de tonalité et s'engouffre dans une succession d'épreuves initiatiques pour Elise, qui va en apprendre bien plus sur elle-même en quelques heures que si elle était restée confinée dans sa chambre. Faune, sphinx, vampires, araignée au fil d'Ariane, tout un savant cocktail mythologique fait son apparition, ainsi que des créatures tout droit sortis de l'imagination de l'auteur comme les Mordrols, petits êtres délicieux ou les Golgomes, messagers ailés version yin et yang. Mais surtout, ce récit est rempli de sorcières au langage châtié, roulant les rrr comme des mégères, un tantinet fêlées du ciboulot, inversant les lettres , se chamaillant sans cesse, alors qu'un autre personnage inverse lui carrément les phrases.

Je ne vais pas vous dévoiler tous les rebondissements de ce roman (lisez-le donc !) tant le lecteur est embarqué dans une histoire qui semble à première vue sans queue ni tête, mais qui retombe sur ses pattes -comme le dragon- et dévoile toute la subtilité de son message. Sauf qu'au moment crucial, la dernière page indique "Fin de l'épisode 1" (à la manière des films muets) : ouf, car chouette il y aura une suite et oh non !, parce que combien de temps va-t-il falloir attendre ?

Vous l'aurez compris : j'ai été complètement embarquée par ce conte initiatique, car c'en est un et de très bonne facture ! Je n'hésite pas à qualifier Bertrand Santini de Roald Dahl à la française, j'y retrouve la verve du Yark et la profondeur d'Hugo de la nuit. Et visez cette magnifique couverture de Laurent Gapaillard : déjà, cet écrin est un appel.

Un brin suranné, un brin fantastique, un brin humoristique, tous les ingrédients sont présents pour que Miss Pook et les enfants de la lune fasse très vite partie des classiques, au sens noble du terme.

Miss Pook et les enfants de la lune
Bertrand Santini
Grasset jeunesse

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