Bouche cousue


Lu d'une traite ce roman.
Et j'en suis restée bouche bée.

Le proverbe dit : "Le linge sale se lave en famille".
Mais pas dans cette famille-là.
Le lavomatique familial, gagné à la sueur de son travail, ne lave que le linge, le rend immaculé, mais pas les âmes. Aucun soin pour elles dans cette famille qui n'en a que l'apparence.

L'histoire commence par le déjeuner dominical. Une tradition. A laquelle chacun se plie plus par obligation que par réel plaisir. Amandana, trentenaire et célibataire, perçoit que ce dimanche midi-là, l'atmosphère est nettement plus tendue que d'habitude. D'un coup, la tension monte d'un cran : la langue de vipère de sa petite nièce lâche le morceau. Son grand frère Tom, 15 ans, a embrassé un garçon. D'un coup, tout vole en éclats : Tom est giflé par son grand-père. Pour Amandana, qui se sent très proche de son neveu, cette gifle, c'est comme si elle la recevait une nouvelle fois. De 30 ans, elle revient à 15 : cette année-là où elle a embrassé une fille. La même gifle de son père alors. Fuyant, avec une impression d'abandon, elle décide alors d'adresser une lettre à son neveu, une lettre lui révélant son histoire. Comme une bouée. Pour elle. Pour lui. Cette lettre, c'est ce roman.

Elle dit sa solitude.
Elle dit le manque d'amour de sa mère, de son père et de sa sœur.
Elle dit sa rencontre improbable avec ce couple joyeux, Marc et Jérôme, qui va poser sur elle un regard valorisant et sans faux-semblant.
Elle dit ce projet pédagogique d'opéra de Didon et Enée et la musique de Purcell qui l'émeut au-delà de ce qu'elle n'aurait jamais pu imaginer.
Elle dit surtout le trouble que provoque en elle la belle Marie-Line et le gouffre dans lequel cela va la mener.

Ce roman est un boomerang. Comme ceux que savent si bien fabriquer les familles où la parole n'a pas sa place, où les tabous, eux, doivent surtout rester à leur place. 
La psychologie des personnages y est remarquablement brossée, dans des nuances à première vue infimes mais qui ont toute leur importance. Le parallèle entre le soin pris pour le linge et la négation de la personne donne une profondeur douloureuse à ce que vit cette jeune fille en pleine construction, en plein chamboulement dans son désir, en pleine quête de soi.

On pourrait lui "reprocher" sa concision (moins de 100 pages qui se lisent vite, trop vite ?), sa façon de rester parfois à la surface des choses, ses raccourcis un peu trop raccourcis (famille catholique pratiquante = famille systématiquement coincée dans les sentiments) mais je pense que son propos n'est pas là : chacun peut se reconnaître dans ce qu'il nous dit de nos choix de vie, dans notre responsabilité vis-à-vis de nos désirs et de nos élans. En cela, je l'ai trouvé très juste, beau et douloureux. Parce que ce n'est jamais facile de s'affranchir.

Un roman plein de pudeur et d'émotions qui prône le dialogue comme valeur suprême, et un regard sur l'adolescence et ses contradictions ainsi que sur le monde des adultes sans concession.


Coup de cœur !
En cette journée des droits des femmes !

Retrouvez l'avis du Tiroir à histoires et celui de A lire aux pays des merveilles
Et merci à toi, Céline, de me l'avoir fait découvrir.

Bouche cousue
Marion Muller-Colard
Gallimard jeunesse
Scripto

Commentaires

  1. Ah j'ai hâte de le lire ! Ma médiathèque (celle de Bourges, pas la mienne !) va l'acquérir ! Je lui ai suggéré et j'ai visiblement bien fait ! :)

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  2. Belle chronique, Pépita, pour un roman qui le mérite vraiment !

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